Patagonie : de Puerto Natales à Ushuaia

(Revenez dans quelques jours, il devrait y avoir des photos...)

 

De Natales à Ushuaia, les climats sont contrastés parce que plusieurs aller-retour ouest-est font varier considérablement le taux d'humidité. Mais la constante est le vent. Qu'il contourne, frôle ou rugisse dans le fond des canaux, il est omniprésent, à fleur de peau ou à fleur de nerf. Que les bourrasques soient simplement violentes ou mordantes de grésil, du fond de nos vestes de quart nous pensons aux indiens alakalufs, onas ou yagans qui vivaient nus ici il y a quelques dizaines d'années encore.

Puerto Natalesµ

Puerto Natales est une petite ville de 15 000 habitants qui tient l'essentiel de son activité de la proximité du massif de Torres del Paine (prononcer païné) et de la grotte du Mylodon. Le "Torres del Paine" c'est un superbe massif de pics élancés mêlés à des glaciers dont le plus important est le glacier Grey, c'est aussi un parc naturel. Il y a des tas de refuges et de bus pour y aller, c'est très beau et très cher pour le pays, l'entrée du parc à elle seule coûtant près de 100FF par personne, et en été tout est overbooké. 

Le mylodon est un animal disparu, entre l'ours et le dinosaure, dont des restes avaient été découverts dans une grotte imposante, depuis, la grotte se visite et il y a même une statue en résine du mylodon pour rappeler l'alibi scientifique de la visite. Le mylodon est également le fil conducteur du livre de Chatwin "En Patagonie".

 

Donc Natales, c'est business trek-routards-rando, des agences de voyages à chaque coin de rue et restaurant avec menu touristique entre chaque agence. Ceci dit le coin n'est pas désagréable tant qu'on n'y vient pas en bateau. Pas de chance c'est notre cas. Car la ville est sur le côté est du canal, c'est-à-dire exposée aux vents dominants, et chaque fois que le vent souffle (et c'est assez fréquent sous ces latitudes) il nous faut changer de mouillage et nous retrouver à un endroit d'où il nous est impossible de rejoindre la civilisation avec notre petite annexe. Les carabinieros nous ont accordé généreusement l'autorisation d'utiliser leur corps-mort quand nous venons en ville, ce qui est à priori rassurant pour le bateau, mais un jour de vent contre-courrant celui-ci s'est mis à jouer à saute-mouton avec la (très grosse) bouée métallique du corps-mort et le pauvre Flanneur s'en est tiré avec une vilaine bosse sur son flanc.

Natales s'est vite transformé en une suite d'aller-retour en voilier entre ville et mouillage abrité à chaque période de vent calme, pour faire les pleins de gasoil, eau et nourriture nécessaires pour rejoindre Ushuaia. L'occasion de rencontrer d'autres navigateurs et de passer de bons moments ensemble, Nancy et Giani sur "Joshua" ainsi que "Millenium Falcon".

 

Le 13 février, c'est l'arrivée d'Anne, le temps de finir les courses, faire une petite visite de routine sur le parcours touristique normalisé et nous laissons sans regret cet endroit pas fait pour nous en compagnie de "Joshua" qui lui est en route vers la Polynésie. 

 

Caleta Victoria, notre deuxième passage dans cette crique, mais cette fois nous arrivons à deux bateaux et nous y retrouvons deux autres voiliers et un groupe de jeunes pêcheurs qui sont très heureux d'une part de voire du monde, d'autre part de bénéficier d'une visite médicale dans ce pays où l'évolution ultra libérale à conduit à une santé hors de prix pour le peuple chilien.

 

carte_terre_de_feu.gif (103790 octets)21/2 -  Détroit de Magellan - Nom mythique évocateur des grands voiliers qui rejoignaient les côtes américaines occidentales à l'époque où Panama n'était que marais et jungle. Cimetière aussi  pour nombre de navires que les tempêtes ont refoulés sur les récifs qui le bordent. Malgré une petite dépression qui s'approche, nous entamons l'amorce du détroit, mais en prenant un raccourci nous nous faisons un peu peur au milieu des récifs où explosent les vagues dans tous les sens et nous décidons de nous calmer les nerfs dans le premier abris : la caleta "rachas" - en français : la crique des rafales !-

 

Il y a effectivement des rafales mais bien amarré au fond de la crique nous savourons un repos bien mérité... Du moins jusqu'à ce que le vent se renforce, et qu'un arbuste sur lequel nous étions attaché ne cède sous les efforts. Retirer une nouvelle ligne en catastrophe, qu'à cela ne tienne nous commençons à comprendre ce genre de jeu. Mais plus tard dans la nuit c'est une nouvelle amarre qui lâche, le bateau qui commence à toucher les rochers, l'ancre qui dérape, la galère quoi! Alors retendre de nouveaux bouts en ramant difficilement contre des rafales épouvantables, porter une ancre, etc...Le tout en hurlant des messages inaudibles au milieu des embruns illuminés par nos projecteurs. Le bateau n'a pas eu de mal mais l'équipage a passé une de ses plus mauvaises nuits!!!

 

Le lendemain à la première heure, nous profitons d'une accalmie pour démêler cordages, chaînes et ancre et quitter ce lieu idyllique au plus tôt malgré le vent qui souffle fort encore. Une fois dans le canal tout va mieux, nous avançons dans le sens du vent, vite et avec peu de toile. De moins en moins de toile au fur et à mesure que le temps passe, et finalement à sec de voile, nous filons nos 6 à 8 nœuds en nous demandant comment nous allons faire pour regagner un mouillage puisqu'il nous est impossible de manœuvrer au moteur avec un tel vent. Finalement ce pays à la météo imprévisible nous surprend toujours et le vent nous souhaite soudainement bonne route et poursuit la sienne quelque part ailleurs.

 

µDétroit de Magellan, Paso Tortuoso -  ou les 50ème sud sans vent en ce qui nous concerne et c'est super car les baleines sont là qui rivalisent avec les troupeaux de phoques pour engloutir des bancs de poissons. Tous les posters de Greenpeace que nous avons tous connu sont là en 3D et en stéréo. Il n'y a rien à écrire là dessus, c'est simple et beau comme un premier jour du monde.

 

Nous suivons le Magellan jusqu'au canal Magdalena, puis le Keats et µl'Agostini que nous voulions voire en passant car environné de glaciers. Nous avons de la chance il fait beau, même le mont Sarmiento, point culminant de la Terre de Feu, accepte de nous révéler ses dents de glaces. Nous mouillons au pied du glacier qui craque de tous ses séracs qui défient les lois de la gravité en surplomb au dessus de la mer. 

 

28 février, c'est l'anniversaire d'Anne, elle aura de la glace à volonté pour la bouteille de champagne et des centollas (araignées de mer) en entrée - c'est la première fois que nous réussissons à en attraper-. A terre, dans ce canal à l'écart des routes nous sommes étonnés de faire la rencontre d'un groupe d'alpinistes chiliens en expédition d'exploration des sommets qui surplombent la calotte glaciaire.

 

Quatre jours de beau temps consécutifs, c'est anormal pour le pays et ça se paye. Des masses d'air chaud et froid s'interpénètrent se se soulèvent là bas sur le pacifique et déclenchent une amorce de tempête. Les prévisions sont pessimistes et nous quittons nos glaciers avant le lever du jour pour trouver un abris plus sûr avant la nuit. 

 

Puerto King, mouillage royal d'après notre guide, mais aujourd'hui le vent trop nord et déjà trop fort nous empêche de pénétrer dans cet abris. Nous n'en connaissons pas d'autres à distance raisonnable et nous avons beau tourner en rond dans la baie, aucun endroit n'est sûr, trop profond, trop de kelp, ces algues immenses qui empêchent les ancres d'accrocher dans le sol, trop vaste pour s'amarrer correctement,... Le baromètre baisse à la vitesse avec laquelle les rafales de vents se renforcent et l'ambiance commence à virer à l'angoisse à bord. Mais il y a une étoile qui brille encore pour nous entre les nuages qui s'amoncellent. Une crique très étroite, plutôt un canal avec des récifs à l'entrée s'ouvre au fond de la baie, Marie-Christine va sonder le passage en annexe et ça passe, pas large, mais ça passe, de plus de grands arbres de part et d'autre nous permettent de nous amarrer de tous côtés, alors nous ne lésinons pas, deux ancres devant, une derrière, et trois amarres de chaque côté, chacune fixée sur plusieurs arbres. Et puis le baromètre qui baisse, qui baisse,...et le vent qui précipite ses puissantes claques du haut des montagnes environnantes, le bateau vibre de toutes ses membrures et part à la gîte comme si nous étions sous voiles, nous ne dormons pas mais cette fois tout tient le coup. On ne sais pas à combien ça a soufflé, l'éolienne grille son fusible à partir de 60 nœuds, donc il y a eu plus c'est tout ce qu'on peut dire!

L'avantage de ces coups de vent violents, c'est qu'il ne durent pas, et dès le lendemain nous pouvons reprendre notre route vers le sud.

 

Canal Cockburn, canal Brecknock, nous avons de nouveau effleuré les vagues de l'océan pour nous glisser au sud de la terre de feu. Caleta Brecnock, un mouillage bien protégé entre d'austères falaises de granite nues, mais l'avantage est que la végétation ne nous oppose pas ses enchevêtrement impénétrables et nous en profitons pour randonner un peu, nous glissant entres brèves éclaircies, froides averses de neiges et piquantes chutes de grésil. La saison avance en même temps que la latitude et le thermomètre en prend un coup. 

Les parties de navigations, même s'il ne s'agit que de se laisser glisser dans le sens du vent, protégés des mauvaises houles par une infinité d'îles, se font maintenant bien emmitouflées et le poêle est mis à contribution en permanence pour garder un peu de chaleur dans le carré et limiter la condensation, notre ennemie jurée. 

 

µCanal Ballenero, Brazo Noroeste. Nous sommes à l'approche du canal Beagle, "l'avenue des glaciers". Nous n'irons pas voir le premier, dans le seno Ventisquero, le vent est trop fort, la météo peu sure et les mouillages douteux or depuis quelques temps nous avons décidé de doubler un peu les mesures de sécurité. Notre premier glacier de cette partie du voyage sera le Garibaldi. On ne va pas répéter cent mille fois les mêmes descriptions mais c'est toujours aussi beau. 

Trop de glace nous empêche de nous approcher du front glaciaire mais nous rencontrons toute une colonie de lions de mer fort sympathique avec laquelle nous passons de longs

Histoire de phoques

 moments, dans le bateau d'abord, puis nous descendons prudemment à terre pour nous approcher de ces monstres nonchalants qui ne s'inquiètent pas tant que nous n'approchons pas de l'aire des jeunes et des femelles, puis nous font comprendre qu'il est tant de les laisser tranquille, nous ne discutons pas et reprenons notre route.

 

Espana, c'est le nom du glacier suivant. Encore une fois beaucoup trop de glace pour approcher du glacier, par contre à proximité du mouillage nous trouvons un chemin qui nous permet après deux heures de marche de rejoindre une autre langue glaciaire. C'est super, bien sûr, mais aussi parce qu'il ne pleut pas, il fait même beau et relativement chaud.

 

 D'ailleurs, depuis que nous avons pénétré vers l'ouest, les éclaircies se font plus fréquentes, les averses plus rares et même le vent semble glisser sur les sommets et épargner le plus souvent notre route du fond des canaux.

 

Le seno Pia et ses cordillères enneigées s'ouvre à nous sur un fond de cirrostratus et d'alto cumulus lenticulaires, les mots sont techniques mais il y a des jours où le spectacle est tel qu'il n'y a pas suffisamment de couleurs dans la palette des mots pour dépeindre les nuances de lumières  jetées par un soleil partiellement voilé dans un monde de glaces et de roches emmêlées. 

Nous y ferons aussi des festins de centollas et la rencontre d'Eric et Nicolas qui font du charter sur le voilier "La Croix Saint Paul II".

 

Caleta Morning. Nous venions sur la piste des cormorans aux yeux bleus. Nous nous sommes gelés les doigts sur les pagaie et n'avons trouvé que nos habituels cormorans blancs et noirs. Il neige en cette fin d'été jusqu'au niveau de la mer. La radio nous crachote des nouvelles des uns et des autres, ceux que nous avons rencontré et ceux que nous ne verrons pas. Parmi ces derniers, il y a un russe de 65 ans qui navigue sur un voilier de 3,70m, oui TROIS MÈTRES SOIXANTE-DIX !!! Il est passé par Punta Arenas, est maintenant à Puerto Natales et remonte vers Panama et les Etats-Unis!

 

Caleta Ferrari. Ancienne estancia acquise maintenant par une fondation qui en a fait une réserve écologique tenue par un gardien que nous avons à peine croisé car en vadrouille dans la montagne lors de notre venue. Mais l'occasion de faire une grande randonnée dans une plaine immense, couverte de prairies parcourues par des chevaux retournés à l'état sauvage, et survolées par les condors et les "quenquen", des espèces d'oies sauvages... Un joli coin où nous promettons de revenir prochainement.

 

23/3/01 Ushuaia - Après 40 jours de nature sauvage, Ushuaia s'annonce d'abord par un nuage de brume de pollution qui flotte au dessus de la ville, puis par les auréoles de gasoil à la surface de l'eau, ensuite par les odeurs d'égout du port, enfin par le bruit des voitures. Le bout du monde n'est plus ici, l'argent l'a poussé plus loin, ici même la glace antarctique se vend à prix d'or et l'hivers nous verra probablement ailleurs. 

Ceci dit, la ville est tout à fait mignone, cernée de montagnes découpées et servie par un climat dont l'aridité nous surprend après tant de mois à baigner dans un air plus qu'aquatique.

Si nous pensions regagner des climats plus doux pour la saison froide, il faut nous rendre à l'évidence: les conditions que nous avons rencontrées en route ne nous permettrons pas de remonter dans des délais raisonnables et l'hivers approche bien vite, alors la suite de ces modestes pages devrait nous retrouver en Terre de Feu.

 

 

 

 

 

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