Livre de bord
17/10/2000
Départ de Tahiti par beau temps et brise légère qui nous abandonne progressivement et nous laisse à un balancement nonchalant qui montre bien que cette traversée s’augure plus sous le signe de la plaisance que sous celui du Boc Challenge. Il fait beau et nous avons du temps devant nous !
18/10/00
La mer comme un miroir, c’est l’occasion de se baigner et de fignoler le grattage de la coque qui conservait quelques coquillages et coraux sous ses fonds. Puis le vent daigne enfin faire son apparition, en face bien entendu mais au moins on décolle pour de vrai.
19/10/00
Ca y est, on a enfin perdu Tahiti de vue. Nous commençons a retrouver nos points de repères sur le bateau gîté en permanence sur bâbord pour lutter contre l’alizé de sud-est, le ciel grisouille et la température commence déjà à indiquer que les degrés de latitudes s’additionnent.
22/10/00
Par 25° Sud, le vent faible commence à s’orienter au nord-est et nous en profitons pour tester le spi asymétrique pour la première fois, c’est efficace et en plus ça fait des couleurs sur l’avant et c’est joli !
23/10/00
Notre route nous fait passer près la plus lointaine des îles australes, Rapa, bout du monde Polynésien. Même en n’ayant que peu de temps nous trouvons dommage de ne pas en profiter pour s’en faire une idée, aussi le soir nous mettons le cap sur ce bout de caillou isolé.
24/10/00
Après une nuit passée à la cape, nous renvoyons la toile dans le petit jour naissant (non sans difficulté, puisqu’une garcette de la grand’voile reste coincée dans les haubans et nous empêche d’empanner au risque de déchirer la voile. Il nous faut monter dans le mat pour régler le problème). L’île de Rapa offre ses flancs arides et escarpés, sous le poids d’un ciel bas qui nous en cache les pics. Nous empruntons le chenal tracé au milieu des nombreux rochers et coraux qui parsèment la baie qui a rempli le cratère de ce volcan. Les rafales de vents de plus de 80 km/h s’engouffrent dans la vallée et balaient le plan d’eau sans pitié pour Flanneur et nous obligent par trois fois à remouiller l’ancre qui s’évertue à glisser parmi les madrépores sans trouver de point suffisamment solide pour bloquer sa course.
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![]() Rapa : le cratère |
![]() Rapa : le village |
Rapa (27°37’ S, 147°18’ W) est constitué d’un seul volcan dont la partie émergeante mesure environ 15 km de diamètre, l’île est organisée autours de la caldeira envahie par la mer pour former un joli plan d’eau entouré de collines douces, alors que les crêtes qui ceinturent le cratère, escarpées et surmontées d’aiguilles de basalte, déversent leurs flancs extérieurs dans de nombreuses baies battues par les houles du sud toujours présentes. Il reste l’image d’un coin de campagne privilégié, protégée de l’environnement hostile par cette forteresse sans soldat. Les teintes vont du vert au rouge, le rouge de la latérite stérile qui compose l’essentiel des sols, et le vert des herbes, fougères et broussailles qui tentent de s’y développer. Quelques bois de pinus artificiellement plantés depuis quelques dizaines d’années apportent des touches d’un vert plus sombre.
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La vie des 500 habitants se répartie sur deux villages, situés de part et d’autre de l’entrée de la baie. Autrefois en quasi-autarcie, le mode de vie influencé par l’argent gagné par les emplois fonctionnaires a permis même ici à la consommation de faire ses ravages et aux cultures de perdre de l’importance au profit des importations. Aussi chaque goélette (cargo) est attendu par tout un chacun. Il faut dire que cette petite communauté située à plus de 500 km de toute terre habitée, et 1000 km de Tahiti, ne possède pas d’aérodrome, et n’est approvisionnée qu’à des intervalles de 4 à 7 semaines. Neufs jours de goélette pour venir de Tahiti, plus d’un mois pour attendre la suivante, pas de médecin, pas de restaurant, pas de distraction moderne à part la télé qui passe par les satellites, font qu’il n’y a pas de touristes non plus et que les habitants sont peut être plus que seulement des voisins les uns pour les autres. Témoins en sont les fours à pain communs, toujours utilisés une fois par semaine, ou le moulin à café (pour décortiquer les graines de caféier fraîchement récoltées) en bordure de sentier.
En tous cas l’arrivée d’un voilier (fin octobre, nous étions le 5ème depuis le début de l’année) ne passe pas inaperçue et les gens n’espèrent qu’une chose c’est que nous allons rester suffisamment longtemps pour avoir le temps de nous rencontrer et d’échanger par notre intermédiaire quelques bouts de vie avec le reste du monde. Notre programme n’est malheureusement pas assez souple pour rester plus qu’une paire de jours et nous ne satisferons pas correctement notre fonction d’ambassadeurs. D’autant plus qu’à peine débarqués, nous étions attendus par Régis et Caroline. Caroline fait un remplacement de l’infirmier en titre pour trois mois et nous ne nous attendions pas à les trouver ici, eux non plus ! Accueil chaleureux et sympathique, et le plaisir de goûter au confort de la douche chaude et du repas pris sur une table stable et horizontale.
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Le lendemain, le vent s’est calmé mais le bateau qui avait encore dérapé est maintenant mouillé sur des fonds de plus de 20m et l’ancre coincée dans les roches, et il faudra plonger pour la dégager dans une eau qui nous paraît glaciale alors qu’elle doit faire quand même dans les 24°C, soit la méditerranée en été, c’est fout ce qu’on s’habitue au confort ! Avant de partir, le météorologue de la station, nous fournis les analyses météo pour les cinq jours à venir qu’il a pris la peine de se faire faxer par le centre de Météo France de Tahiti, le tout dans un dossier au nom de " La Flanneur ", geste touchant et extrêmement sympathique en plus d’utile.
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Après la plongée |
27/10/00
Départ de Rapa par un petit vent de sud-sud-ouest, deux poissons au bout de la ligne, un saumon tropical tout d’abord mais qui préfèrera retourner dans son élément avant d’atteindre le pont du bateau, puis un petit thon (albacore), première pêche depuis le départ de Tahiti.
26/10/00
Les îles de Baas sont le Stonehenge des mers du sud qui se dressent sur bâbord, surgies de nulle part comme les épines dorsales d’un monstre aquatique immergé. La mer est belle et le temps gris et uniforme rend propice les apparitions étranges au sein de ces solitudes oubliées. Les îles de Baas constituent les vestiges d’un volcan immergé dont seuls quelques sommets du cratère émergent comme des rochers verticaux d’une centaine de mètres répartis sur un cercle de trois kilomètres de diamètre et ceci dans une région où les fonds sont à plusieurs milliers de mètres.
28/10/00
Vent, pas de vent, vent, pas de vent… Les milles s’additionnent de façons inégales au grès des anticyclones et perturbation, mais ce matin, enfin le soleil brille pour la première fois depuis 8 jours. Soleil froid qui a du mal à remonter les 18°C du petit matin, mais la lumière qui sèche et réchauffe le cœur.
1/11/00
Trois jours à bien courir la route et un vilain anticyclone vient s’installer au mauvais endroit et nous apporte des vents contraires et assez fort. Les conditions de confort sont bien différentes avec le bateau très gîté, qui tape dans les vagues, les embruns et les paquets de mer qui défilent sur le ponts et la route qui se déroule à mi vitesse et encore pas dans le bon sens ! Un thon d’une dizaine de kilos vient nous remonter le moral. Différent de ceux que nous avions coutume de pêcher plus au nord, celui-ci, plus ventru a la chair pleine de graisse, on sent un animal habitué à des conditions plus rigoureuses.
2/10/00
Toujours à peiner en direction de l’est-nord-est, et les dernières cartes météo ne prévoient pas de changement pour les jours à venir.
6/11/00
Depuis trois jours le vent a faibli et les conditions de vie à bord sont plus agréables, mais le vent est toujours contre nous et nous avons du mal à faire une route directe alors que les albatros, ces énormes oiseaux marins commencent à nous accompagner et nous montrer que nous sommes bien, malgré tout sur la voie qui mène aux mers australes.
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12/11/00 La mer est plus calme aujourd’hui, et le spi est ressorti de son sac. Nous en profitons pour grimper dans le mat afin de changer une ampoule du feu de route et par la même occasion vérifier un peu le gréement et même faire quelques photos aériennes.
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13/11/00
Déjà près de 2100 milles parcourus depuis Rapa, il nous en reste encore 1600 ( en ligne droite !) à faire. UN nouveau thon vient nous rendre visite. On ne va pas citer tous les poissons que nous remontons, mais ces eaux semblent très poissonneuses car il est rare que nous ne remontions pas un poisson dans la journée quand l’envie de chair fraîche nous prend.
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16/11/00
Latitude 38°08’ longitude 97°34’
Depuis trois jours le temps est gris et frais, la température est maintenant de l’ordre de 14°C le matin mais nous finissons par nous y habituer. Hier une attache du point de drisse (en haut) du génois (voile d’avant) s’est décousu et la voile en partie déchirée. Nous profitons d’un temps plus calme aujourd’hui pour monter au mat récupérer la drisse, et faire un peu de couture.
17/11/00
Le vent repasse de nouveau au sud-sud-est, c’est-à-dire encore une fois juste en face, pas de chance, dans une région ou nous attendions surtout des coups de vent d’ouest il nous faut de nouveau tirer des bords, et comme le dit le vieil adage : " Deux fois la route, trois fois le temps et quatre fois la fatigue ".
21/11/00
Lat 40° Long 89°22’
Au bout de notre cinquième jour à tirer des bords et après quelques épisodes de vent assez forts (30 nœuds) les conditions redeviennent plus agréables, il ne nous manque que le soleil qui nous a abandonné depuis une dizaine de jours.
26/11/00
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Plus que 140 miles avant l’arrivée, et pour fêter ça, le soleil daigne enfin pointer son nez dans quelques trop rares trouées dans le triste plafond. Plaisir immense de pouvoir enfin prendre une douche dans le cockpit, (il fait toujours 15°C mais les conditions sont supportables). Puis le vent nous abandonne et c’est au moteur que nous passerons cette dernière nuit dans ces quarantièmes qui heureusement n’auront jamais rugit dans nos timides oreilles.
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27/11/00
Sous les lueurs timides du petit matin, la côte de l’île de Chiloé commence à tracer ses lignes douces et nous souhaite la bienvenue. Quelques heures plus tard nous embouquons le canal de Chacao après avoir tester notre espagnol désolant avec la vigie du phare de Coruna. Le courant de marée est avec nous et nous traversons les 15 miles du canal à plus de dix nœuds au milieu des phoques surfant dans les vagues créées par le flot. Puis s’ensuit notre premier cheminement au travers des îles labyrinthiques de nos premiers canaux patagons. La chance est avec nous puisque le ciel dégage enfin son voile oppressant pour nous livrer les sommets enneigés des sommets andins, dont le volcan Osorno qui dresse son cône majestueux.
Le retour à la terre se fait à Puerto Montt, où il nous faut d’abord patienter avant que la marine ne nous autorise à venir nous amarrer à leur ponton, ensuite nous avons droit à la visite conjointe des représentants de l’immigration, douanes, santé, agriculture, capitainerie mais tout ça dans un esprit chaleureux et détendu et en moins d’une heures toutes les formalités sont bouclées. Bonjour la terre ferme, et clôture de cette partie du voyage.