Chiloe, Ancud, 21 décembre 4 heures, la "Pincoya" pénètre dans le détroit de Chacao avec les dernières lueurs d'une lune qui se glisse timidement à travers les ultimes heures d'obscurité. Miguel Alphonso somnole pendant que Carlos guide la "lancha" au sein des remous provoqués par le fort courant de flot. A cette heure le détroit est quasi désert car les navettes qui relient Chiloe au continent n'ont pas encore débuté leur ballet incessant, un départ toutes les dix minutes de chaque bord, et dans ces conditions, abus ou pas de pisco la veille, l'oeil se doit d'être alerte et la main sure. Mais pour ce matin, ce n'est pas dans les brumes de l'alcool que s'attarde l'esprit de Miguel, mais dans le souvenir du corps de Martha, la douce chaleur de la peau de Martha qui le relie encore à la terre.  

 

Le Golfe d'Ancud, Les îles Mechuque à bâbord, la cordillère qui serait sûrement à tribord si une percée dans les nuages voulait bien apparaître. Encore huit heures à rêver sous les vibration du vieux diesel avant d'atteindre la baie Tictoc. La baie Tic toc c'est après le golfe de Corcovado, c'est déjà un autre monde, bien loin de la douceur de Chiloé, bien loin de Martha. Oui mais il y a les Almeiras, ces grosses palourdes qui se vendent bien à l'exportation, et pour ça Miguel Alphonso irait encore bien plus loin, jusqu'au golfe de Penas s'il le fallait. 

 

Mais pour l'instant Tic Toc c'est parfait: un bon mouillage dans un archipel d'îlots comme un labyrinthe où les phoques et les pingouins se prélassent, ils en ont bien de la chance ceux-là. Et puis l'équipage est bien rôdé, Carlos le capitaine, son marin le jeune Leo et quatre plongeurs dont Miguel. Et puis le boulot depuis trois ans déjà est devenu une routine. D'abord un bon petit déjeuner copieux, puis la combinaison à enfiler pendant que Carlos démarre le compresseur, objet de toutes les attentions. Puis le harnais, couteau, détendeur, le sac, les palmes, la ceinture et on y va. Ce n'est pas bien compliqué, il suffit de se promener au dessus du fond et de remplir le sac, quand il est plein, trois secousses sur le câble de sécurité et on l'échange pour un nouveau. Six heures, huit heures parfois quand la pêche est moins abondante, mais là ça commence à être dur, le froid, la fatigue, là il ne faut plus penser à rien sinon on ne revient pas. Et puis au bout des 120 à 150 kg de coquillages, c'est bon, la journée au fond est finie. Il n'y a plus qu 'à porter tout ça au vivier, mais ça c'est le boulot des marins, et prendre des forces pour le lendemain. 

 

Quatre tonnes, quatre tonnes à remonter pour que la lancha remonte définitivement son ancre et remette le cap sur Ancud, oui mais 100 000 pesos par semaine, (1200FF) c'est quatre fois le salaire minimum ici. Et dire qu'en trois ans Miguel n'a pas mis un sou de côté, normal avec ce que lui prennent Martha ou les autres, enfin chacun son métier.